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Rencontre avec Nazeem Junggee

Nazeem Junggee

Nazeem, peux-tu te présenter et présenter ton entreprise à nos lecteurs ?

Je m’appelle Nazeem Junggee, j’ai 31 ans, et je dirige l’entreprise 1950 Design & Print Co. Ltd. Pourquoi 1950 ? Pour le côté vintage de l’imprimerie et du design dans les années 1950, et parce qu’en 2010, j’ai évité à une machine à écrire de se retrouver parmi une multitude de déchets métalliques qui allaient être détruits. Aujourd’hui, l’entreprise, qui emploie trois personnes à plein temps, collabore avec des agences de publicité locales pour toute la partie impression et publicité extérieure.

 

Tu fais partie de ces jeunes entrepreneurs à l’île Maurice et tu gères 1950 Design & Print Co. Ltd. Comment ton parcours a-t-il débuté ?

J’ai débuté ma carrière en tant que stagiaire monteur dans la presse à l’île Maurice. Après deux ans, j’ai bénéficié d’une bourse partielle pour un BA en graphisme dans l’une des plus grandes et prestigieuses écoles d’art aux Etats-Unis. A mon retour à Maurice, j’ai contribué à la mise en place d’une presse rotative utilisant les technologies UV et CTP.

En 2011, nous avons monté 1950 Design & Print Co. Ltd, une agence de graphisme polyvalente. Mon épouse Anousha et moi travaillions tous les deux à plein temps. J’étais graphiste, et elle était reporter dans la presse. Il était impératif que l’un de nous deux conserve son emploi à plein temps, afin de sécuriser un revenu mensuel pour payer les factures. Après mes heures de boulot, je m’occupais de tout le travail graphique, et elle se chargeait d’effectuer le suivi auprès des clients. Très vite, nous avons réalisé que sur une île avec 1,3 millions d’habitants, le marché du graphisme était saturé et qu’on ne faisait que concurrencer des agences de pub déjà bien installées depuis plus de 30 ans. Pour que ça marche, il fallait que l’offre soit diversifiée. Nous avons donc investi dans l’impression digitale grand format, grâce à nos économies et en empruntant auprès de nos proches.

D’où te vient cette ambition ?

Je dirais que cette ambition me vient de ma passion pour mon métier. Je ne me suis jamais fait à l’idée du travail comme étant quelque chose où tu restes assis derrière un bureau. Je préfère le challenge !

 

 

Comment pourrais-tu définir l’entrepreneuriat à Maurice ?

Il y a un mot de créole en particulier, qui décrit parfaitement l’entrepreneur : « traser ». La traduction la plus fidèle en français serait « dégourdi ». La vie de l’entrepreneur se résume à prendre des risques et vivre de sa passion. C’est très proche de la débrouillardise des artistes à l’île Maurice. On fait des choses parce qu’on aime ça, mais les gens, et surtout les clients, oublient souvent qu’on a, nous aussi, des factures à payer. Je pense que parmi les principales raisons pour lesquelles les gens abandonnent le navire de l’entrepreneuriat, il y a la trésorerie et l’endettement. La plupart des entreprises clientes demandent à pouvoir payer en différé, dans un délai d’un à trois mois. C’est ce qui tue les petites entreprises et les petits entrepreneurs. Parfois, on passe plus de temps à courir après les clients dont les factures n’ont pas encore été payées, plutôt que de faire notre travail…

As-tu bénéficié d’un programme en particulier pour les jeunes entrepreneurs à l’île Maurice ?

Non. J’ai essayé de trouver un soutien financier au début, mais les banques ne portent pas beaucoup d’espoir, surtout si tu n’as pas de bien à hypothéquer, ni de garant parmi tes proches.

Quels sont tes objectifs pour ton entreprise ?

1950 Design & Print Co. est pour le moment à mi-chemin entre la startup et la phase de croissance. L’entreprise se développe rapidement et atteint de nouveaux marchés. Nous travaillons également à établir une certaine confiance entre l’entreprise et nos clients existants, et petit à petit, nous comptons de nouvelles entreprises parmi nos clients. Notre objectif à court terme est de nous concentrer sur le bon déroulement des affaires, un système de comptabilité et de gestion de projet amélioré, tout en augmentant les ventes et l’acquisition de nouveaux clients.

Tu as bénéficié de la bourse Mandela Washington 2016. Peux-tu nous en dire plus sur cette aventure en tant qu’entrepreneur ?

 Nazeem Junggee

 

Je fais partie des 11 Mauriciens qui ont bénéficié de cette bourse, une initiative phare du président des Etats-Unis, Barack Obama. J’ai aussi eu l’honneur de faire un stage dans l’une des universités d’élite américaines, le Dartmouth College. J’y ai suivi six semaines de formation intensive en leadership et en entrepreneuriat. C’était une vraie aventure, d’autant plus que j’ai rencontré d’autres boursiers originaires du continent africain.

D’ailleurs c’est triste à dire, mais même si nous sommes africains, nous ne sommes pas seulement loin physiquement de ce continent. Pendant ce stage, j’ai réalisé que je ne connaissais même pas tous les pays d’Afrique, sinon que très peu. J’ai été impressionné par toutes ces histoires à succès vécues par des Zimbabwéens, des Nigériens, des Camerounais, de Malawites ou encore des Botswanais. J’ai rencontré des gens incroyablement doués, des jeunes entrepreneurs qui brillent sur le continent.

Comment penses-tu que les entrepreneurs mauriciens pourraient briller à l’international ?

Je pense que c’est possible. Nous avons à l’île Maurice de nombreux jeunes talentueux, qui pourraient devenir des entrepreneurs à succès. Mais la plupart d’entre eux manquent de support de la part des banques. Les programmes pour encourager l’entrepreneuriat manquent aussi chez les organismes gouvernementaux. Ce n’est pas l’ambition et encore moins l’innovation qui manque à l’île Maurice, mais plutôt le support et l’orientation.

Selon toi, quels sont les avantages et les inconvénients de l’entrepreneuriat à l’île Maurice ?

L’avantage, c’est que je peux faire ce que j’aime. J’aime ce que je fais et travailler tard ou même toute la nuit n’est pas un problème car je vis pour acquérir une certaine autosatisfaction. Comme je l’ai dit plus haut, un des plus gros problèmes demeure le délai de paiement, et notamment les entreprises qui mettent plus de deux mois à s’acquitter de leur note. Pis encore, les entreprises qui ne payent pas, tout simplement ! J’aurais vraiment aimé que les entrepreneurs et les petites entreprises puissent bénéficier d’un concept et du support nécessaire pour le recouvrement des créances.

Un conseil pour les jeunes entrepreneurs à Maurice ?

1. Mettez-vous à l’œuvre immédiatement. Utilisez ce dont vous disposez et faites ce que vous êtes en mesure de faire
2. Adoptez toujours l’esprit du débutant
3. Notre pays a plus besoin d’entrepreneurs que de managers.

 

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