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ReubsVision Mauritius 360

Concepteur du site ReubsVision.mu, Reuben Pillay nous parle de son parcours et de son Google Street View 100 % mauricien. Un projet lancé il y a un an et demi, et qui aujourd’hui se retrouve sous les feux des projecteurs avec des mentions de National Geographic, Peta Pixels ou encore dpreview.com, entre autres.

 

 

Salut Reuben ! D’abord félicitations pour la mention sur National Geographic. Dis-nous tout sur Reubs Vision, comment tu as commencé, le parcours pour en arriver là, les difficultés rencontrées.

Hello Ict.io, Merci et merci pour cette opportunité d’en parler… Alors je suppose qu’on parle strictement du site ReubsVision.mu – (parce que ma société ReubsVision existe depuis environ 4 ans…)

J’ai commencé ce projet il y a 18 mois – même si quelques images étaient déjà prises il y a 4 ans… Il y a deux ans de cela, j’ai commencé à comprendre que le pays avait plus de chambres d’hôtel disponibles que de touristes qui arrivent… et de nouveaux projets hôteliers étaient approuvés par le gouvernement. Pour moi, ça n’avait pas vraiment de sens, car il faudrait d’abord augmenter le nombre de touristes qui visitent l’ile, sinon, on risque de se retrouver avec des touristes éparpillés dans des hôtels tout autour de l’ile – sans que ces hôtels puissent être suffisamment remplis individuellement pour être rentables…

Donc, que pouvait-on faire pour attirer plus de touristes sur notre ile ? Le tout n’est pas de critiquer les choses qui se passent, mais à un moment il faut s’arrêter et réfléchir : que puis-je faire à mon niveau pour faire changer les choses, un peu comme on dit en anglais : “Ask not what your country can do for you – ask what you can do for your country.” C’est une Phrase célèbre de J.F. Kennedy qui en a inspiré beaucoup, moi y compris. J’ai donc décidé d’apporter ma pierre à l’édifice : l’objectif étant de faire découvrir l’ile aux étrangers, et de les captiver de façon à ce qu’ils ne pensent qu’à une chose : leurs prochaines vacances à l’ile Maurice.

Alors quoi de mieux que de faire une visite virtuelle de tous les coins sympas de l’ile ? J’avais au fil des dernières années développé une passion pour les images 360 … je m’étais procuré une camera 360 pensant que le tour était joué et qu’il fallait simplement la suspendre au drone pour faire des photos – mais je me suis vite rendu compte que la qualité d’image (12 Megapixels) laissait à désirer… rien n’égalait la prise de photo avec le drone lui-même, dans toutes les directions pour ensuite appliquer un long processus de « stitching » qui allait coller toutes ces photos ensemble pour en faire une sphère de 250 Megapixels …

Alors, il y a différentes façons de s’y prendre, différents outils, gratuits ou payants sur le net qui permettent d’avoir un certain rendu – j’en ai testé plusieurs, et j’ai même développé certaines techniques, automatisé certaines tâches fastidieuses pour arriver à un rendu plaisant… et le workflow qui se faisait en vagues de 5 étapes prenait environs 10h par photo.

Je savais que j’avais devant moi une tâche gigantesque – mais je n’étais pas pressé… il fallait d’abord que je teste le concept, voir si j’arriverais à coder le site avec la carte et j’ai commencé par ça, depuis la première semaine de janvier 2019 – je n’avais aucune idée comment me lancer et j’ai appelé un ami qui était beaucoup plus calé en programmation que moi pour solliciter son aide… Je n’avais à ce stade jamais développé de site web ou créé un serveur sur ma machine… Malheureusement, il était trop pris par son travail et ne pouvait m’aider avec le code – mais il m’a fortement encouragé à me lancer par moi-même, me disant de faire des recherches sur le Net et qu’il avait confiance en mes capacités.

Honnêtement, je n’y croyais pas à l’époque. Cependant, après deux jours de recherche et de tests, j’avais déjà une carte qui s’affichait avec les points GPS dessus et ça a considérablement boosté ma confiance en moi… au bout de deux semaines, j’avais un ‘proof of concept’ et l’assurance que le projet était faisable…

Il ne me restait plus qu’à parcourir l’ile, faire des photos et y appliquer mon workflow. Chose que je m’imaginais facile à l’époque… c’était sans compter la saison de pluie – car des 3 premiers mois de l’année on pouvait compter le nombre total de jours ensoleillés sur les doigts de la main… Je me suis vite rendu compte que la date à laquelle je prévoyais le lancement – le 11 juin 2019 – ne serait pas respectée… (je n’aurais jamais cru que ça prendrait toute une année de plus).

Mais bon, il n’y avait rien de pressant, j’avais tout mon temps, mais j’avais cependant une frayeur constante que quelqu’un d’autre avec plus de moyens que moi ait vent de l’idée et qu’il puisse la réaliser avant moi – surtout quand le projet était arrivé a un stade avancé. Je ne voulais pas avoir fait tout ça pour rien… il me fallait donc garder tout secret. C’était ça le plus dur, car je rentrais souvent avec une jolie photo – mais il fallait que j’évite de la partager pour ne pas éveiller les soupçons… Il n’y avait qu’une petite poignée de personnes qui était au courant… famille immédiate et amis proches.

En tant que jeune passionné de drones à l’île Maurice, qu’est-ce ce qu’il manque selon toi pour explorer cette passion à fond sur une si petite île ?

En fait, je ne pense pas qu’il manque quoi que ce soit – par contre c’est une passion coûteuse – un drone coûte cher – et si on ne sait pas le manipuler, on risque facilement de le perdre dans un crash. J’ai fait mon premier crash une semaine après avoir eu mon premier drone en 2015 – faute bête je n’avais pas attendu que le GPS soit enclenché avant de décoller, le truc a foncé droit sur moi, et il a fallu que j’esquive, et il s’est crashé dans des branches à l’arrière, la réparation était assez coûteuse… et il a fallu que j’achète les pièces sur eBay, attendre qu’elles arrivent, pour réparer moi-même…

Mon deuxième et dernier crash était un an après dans le Piton de La Fournaise à l’ile Soeur, dû à un dérèglement géomagnétique causé par la forte teneur en fer des coulées de lave récente… le drone ne répondait plus aux commandes même s’il était à 50m de moi…  Par la grâce de Dieu, je n’ai pas eu a revivre ce genre de perte… mais par contre les dépenses n’en finissent pas. J’ai eu au fil du temps deux autres drones que j’ai dû envoyer réparer à l’étranger, car ils ont tout simplement cessé de marcher (dont un pendant la réalisation du projet ReubsVision.mu ) même s’ils n’ont jamais crashé et ont toujours été manipulés avec soin.  Du coup, ça me fait réaliser que ce qu’il manque au final à Maurice c’est un centre de réparation de drone avec un stock de pièces détachées et du personnel qualifié dédié à cette tâche. Les réparations prendront moins de temps, et seront moins chères et ça aiderait le hobby considérablement. Cependant, je ne pense pas qu’une telle entreprise dédiée soit rentable vu le faible nombre de personnes possédant un drone sur l’ile…

Sinon une école de drone pour jeunes enthousiastes ne serait pas mal non plus…

Tu as réussi à créer ton propre Street View pour l’île Maurice. Parle-nous du processus derrière un tel travail. Combien de temps cela t’a pris au total, le matériel et les ressources utilisées…

Parcourir toute la côte de l’ile pour produire ces 220 images était ce qui a requis le plus de temps… Je me suis souvent retrouvé à l’autre bout de l’ile sous une pluie battante. Impossible donc de prendre des photos, et ce, même si j’avais consulté la météo avant de quitter la maison… et je me suis vu rentrer bredouille à plusieurs reprises. Une sortie réussie me ramenait environs 8 points sur la carte pour la majeure partie de l’ile, sauf dans le sud-est où il n’y a pas de réseau routier… il a fallu que je me fraie un chemin dans les champs de cannes, aidé de Google Maps pour naviguer jusqu’a la côte, mais Google Maps ne pouvait pas prévoir qu’il y aurait des rochers au bout de certaines routes. J’ai donc perdu beaucoup de temps à chercher d’autres pistes ; mon skateboard électrique tout terrain était particulièrement utile par moments pour me rapprocher de la côte, là où la voiture ne pouvait avancer, et une fois arrivé sur la côte, il n’était pas possible non plus de la suivre pour faire plusieurs photos à cause des rivières qui sont nombreuses dans le sud-est. Du coup, il fallait revenir vers le réseau routier, trouver un pont, et repartir dans les cannes de l’autre côté et de se frayer un chemin à nouveau jusqu’à la côte. Donc, pour cette région je rentrais avec au maximum 3 photos par jour, ce qui n’est vraiment pas beaucoup, mais ça en valait la peine, car j’ai adoré faire du « offroading ». Il faut dire que ma Rav4 de 1998 ne m’a jamais lâché même s’il a fallu que je refasse toute la suspension et que je me rachète de nouveaux pneus par la suite (ce qui n’est pas donné non plus).

 

Est-ce que par moment tu as eu envie de laisser tomber ?

Non pas vraiment – j’y ai cru fortement depuis le commencement. Il y a eu une période où d’autres projets ont pris le dessus ce qui a retardé l’avancement du Tour Virtuel… mais ces déviations ramenaient du financement, qui était nécessaire, car il faut le dire, parcourir l’ile était une tâche assez coûteuse, surtout dans le sud où il n’y a pas de réseau routier. J’ai dépensé Rs 38, 000 rien que pour l’essence en tout juste deux mois et demi à parcourir les champs de cannes… Mais le jeu en valait la chandelle !

Quelle est la prochaine étape ?

Les phases 2, 3 et 4… Tout est planifié ; ça tournera toujours autour des ‘tours virtuels’, mais je n’en dis pas plus pour le moment. Ces phases serviront à rendre le projet rentable au fil du temps. Je ne vais pas en dire trop, mais la phase 2 est liée au tourisme, donc avec la pandémie de Covid-19, c’est tombé au mauvais moment et je songe fortement à travailler sur les phases 3 et 4 avant la phase 2, histoire de générer des revenus en attendant la réouverture des frontières et la reprise du tourisme à Maurice où la phase 2 prendra tout son sens. Je sais, je parle en code, mais il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, n’est-ce pas ?

Quelques statistiques :

Au premier juillet après la parution des articles dans Petapixel, National Geographic, dpreview.com et une dizaine d’autres sites (digitalRev a même fait une vidéo super sympa) Reubsvision.mu, le tour virtuel de l’ile Maurice a été vu 80,000 fois dans 68 pays – le top 5 étant l’île Maurice, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne, et a reçu un peak de 17,000 vues en une seule journée pour se stabiliser à quelque 9500 visites par jour durant les jours suivants.

Le site compte aujourd’hui 1650+ personnes inscrites de 68 pays et ce nombre grandi tous les jours.

Je pense qu’il appartient maintenant aux Mauriciens de faire découvrir ce site davantage en partageant sans modération sur les réseaux sociaux…  et ce dans le but de toucher le maximum de gens possible et de susciter un intérêt pour l’ile Maurice dans le coeur des étrangers, idéalement ceux qui ont le potentiel de ranimer le tourisme à Maurice.

 

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