Derrière le concept de SmartCities, les médias construisent une vision du futur souvent fantasmée. On nous promet un urbanisme technologique vertueux, qui saurait répondre aux enjeux énergétiques, sociaux et écologiques de demain, une ville « augmentée » rendue intelligente par les nouvelles technologies.
Les progrès techniques récents amènent à penser que nous sommes à l’aube d’une révolution qui mêlera matériaux intelligents, internet des objets, cloud et mobilité au sein d’écosystèmes optimisés et automatisés.
Les principaux axes d’évolution sont concentrés autour de filières interdépendantes :
- l’énergie (production d’énergie durable, optimisation des réseaux via les Smart Grids)
- la mobilité et les transports intelligents (réduction des temps de trajet, de la pollution, de l’isolement)
- le BTP (optimisation de la durabilité et de la sécurité des matériaux avec une empreinte énergétique moindre)
- les infrastructures et l’environnement (optimisation des circuits de traitement de l’eau et des déchets)
- économie et politique (facilitation de l’économie circulaire et meilleure intégration des citoyens)
Des modèles avant-gardistes existent déjà : des villes « optimisées » dès leur conception (Dubaï, Singapour), des pays énergétiquement autonomes (Costa-Rica, Danemark), des modes de gouvernance citoyens avancés (Estonie, Barcelone), des villes truffées de capteurs (Londres, Oslo).
Ces promesses sont à tempérer : on oublie trop souvent que les exemples restent minoritaires et s’intègrent dans des contextes bien particuliers. Par exemple, à Singapour, 75 % des logements sont…publics. Il est évidemment bien plus simple de coordonner une politique d’urbanisme !
Il ne faut pas non plus être naïf face à ces nouvelles technologies. Tout comme pour l’Intelligence Artificielle, les villes intelligentes seront avant tout programmées pour agir en fonction de choix, définis par des entreprises ou des politiques publiques : comme aujourd’hui !
Les villes intelligentes de demain !
Les concepts de villes « autogérées », voir « auto-générées » (s’imprimant et se réparant toutes seules) font également réfléchir à la place de l’humain, du patrimoine et des libertés individuelles. Ces villes seront certainement plus efficaces, mais à quel prix ?
À notre échelle, le sujet des SmartCities (ou d’une « SmartIsland ») revêt une urgence toute particulière. Nous vivons dans des systèmes insulaires tropicaux soumis à de fortes pressions liées notamment à une importante croissance démographique, du foncier de moins en moins disponible, des ressources limitées, des spécificités climatiques à prendre de plus en plus au sérieux, et des inégalités fortes qu’elles soient sociales, économiques ou en matière de santé.
Ces problématiques nous sont bien spécifiques ; il est difficile d’imaginer importer des solutions toutes prêtes et personne ne les concevra spécifiquement pour nous. Si des solutions adaptées à des territoires continentaux émergent, leurs problématiques ne seront pas les mêmes et il faudra du temps pour les adapter à nos « petits » marchés.
L’expérimentation est une condition sine qua non
Les modèles et les outils qui nous permettront de gérer intelligemment nos territoires avec l’appui de la technologie sont donc à inventer, ou tout du moins à adapter.
Pour parvenir à créer ces outils, nous sommes convaincus chez Seyes qu’il nous faut expérimenter, expérimenter et expérimenter. Considérer le territoire non pas uniquement comme un sanctuaire, mais comme un « living lab » géant, un laboratoire d’innovation respectueux, qui travaille avec le territoire pour mieux le préserver.
La Réunion possède tout pour devenir un laboratoire des technologies tropicales et insulaires : savoir-faire, infrastructures, technologies, capacité d’investissement. Il ne nous manque qu’une chose, le courage d’assumer la prise de risque inhérente à toute Recherche & Développement. Les instances dirigeantes et les financeurs doivent accepter le fait que l’expérimentation puisse échouer. Il nous faut lancer un maximum d’initiatives et ne pas oublier que celles à priori plus vendeuses ne sont pas forcément les plus pertinentes à terme.
Aujourd’hui, un entrepreneur ne peut pas expérimenter librement sur une route, un immeuble, ou dans le réseau électrique, seuls les propriétaires de ces réseaux en ayant la capacité. Et l’expérimentation n’est malheureusement pas encore dans leur culture (c’est tout le contraire d’un appel d’offres !).
Tout le monde a la capacité d’innover !
Nous savons aujourd’hui que l’innovation ne vient plus QUE des grands groupes et des laboratoires de recherche. Ils restent indispensables en termes de recherche fondamentale et d’innovation de rupture, mais sont complémentaires des Startups, de petites structures légères beaucoup plus réactives.
On innove aussi au quotidien en testant, en « bricolant » en situation réelle et c’est ainsi que l’on fabriquera des solutions adaptées à nos besoins, agiles, économiques et écologiques. C’est ce que l’on appelle l’innovation frugale ou « jugaad », une innovation peu coûteuse, qui se diffuse rapidement et qui répond à des problématiques-clés sur des territoires en développement.
La Réunion a toujours su faire preuve d’une capacité d’adaptation extraordinaire en trouvant des solutions à ses problèmes de façon simple et efficace, parfois avec des réponses qui restent des énigmes pour « le reste du monde », même si cela est une évidence pour nous. La pollinisation de la Vanille, le rôle social de Freedom, les cases Tomi, la valorisation de la Biomasse, la capacité de résilience en période de guerre, l’invention de peintures tropicalisées ou le niveau actuel de déploiement de la fibre : autant de preuves de cette capacité d’innover, en créant des réponses endémiques à nos problématiques locales.
Les SmartCities tropicales sont donc bien à inventer, à imaginer, à prototyper, et à expérimenter pour un meilleur vivre ensemble demain.